Dans ce nouvel article nous publions une lettre inédite, écrite par Georges BELLAIS à Philippe ENCAUSSE et datée du dimanche 16 septembre 1928.
Nous reviendrons en fin d'article sur ces deux personnalités dont la seconde est certainement bien connue du lecteur, puisqu'il s'agit du fils du célèbre PAPUS, qui occupa la place centrale de l'ésotérisme français de 1888 à son décès en 1916.
Voyons maintenant le contenu de cette lettre qui concerne le Mystère des Cathédrales et plus spécialement la statue de Saint-Marcel.
Nous vous faisons lire le texte puis nous publions les scans de cette correspondance.
" Cher Ami
"Voulez-vous transmettre ceci à Monsieur Paul Le Cour ="
"Dans son livre sur les mystères des cathédrales que vous m'avez obligeamment prêté, Fulcanelli reproduit une statue de Saint Marcel d'après l'exemplaire ancien placé dans le Frigidarium des Thermes de Julien."
"Il signale que cette statue authentique diffère de la restauration faite en 1859 sous la direction de Viollet le Duc et encore en place à la porte Ste Anne."
"Il remarque que Cambriel, dans son ouvrage où il donne une vue de cette statue avant restauration, et auquel il a le premier donné le sens alchimique, a reproduit sans aucune exactitude le sujet."
"Fulcanelli commet une (barré : magnifique) erreur, Cambriel a donné une reproduction exacte de la statue ancienne encore en place sans restauration à l'époque où il vivait."
"Il a été publié récemment une photographie de cette vieille statue dans l'ouvrage Notre-Dame de Paris, in folio, par Aubert, Morancé éditeur, que l'on peut consulter à la nationale, mais dans l'hémicycle de la salle de travail (même pas dans la réserve), côte Fol. Lj 9.7300."
"La statue de Saint Marcel qui est à Cluny est bien du XIII ou XIVè siècle mais elle a été restaurée et modifiée, puis copiée par
( verso en guise de deuxième page)
" ...l'atelier travaillant sous la direction de Viollet le Duc, copiée exactement mais sur original restauré et c'est vraiment extraordinaire de voir comment on restaurait alors."
"staue ancienne statue de cluny ou
avant restauration du porche ste Anne restaurée
"Tête barbue """""""""""" glabre
" Crosse courte """""""""""" longue
" Tête du dragon mordant la crosse """"""""""" sous le pied droit du saint
"Cou du dragon court """"""""""""" long
" La main du saint est levée """"""""""""" est près de la figure
pour bénir, les 2 doigts loin de la bouche les 2 doigts sont près de la bouche
" Il est évident que l'interprétation de Cambriel en particulier quand il signale que le saint ordonne silence ou le secret est dans le vrai alors que Fulcanelli qui le raille sur ce point est dans le faux ; également il erre qaund il demande comment Cambriel a pu dessiner une crosse ridiculement courte et mettre la tête de dragon sous le pied du Saint."
" Enfin je demanderai si les sculptures hermétiques des cathédrales que l'on essaie de lire sous 2 interprétations, l'une sacrée, l'autre profane ne sont pas à 3 (barré : lecture)
significations comme les hieroglyphes (barré : ceux ci sont comme chacun sait à 3 lectures) vulgaire - sacrée - hermétique.
" Voici les 3 lectures de la statue de St Marcel...."
( 3ème page : recto )
" 1° sacrée ou vulgaire (de haut en bas)
" Saint Marcel premier évêque de Paris délivre les habitants des bords de la Bièvre des maléfices d'un dragon.
" Ce dragon gîsait dans le cercueil d'une femme noble qu'il fit adultère et sortait chaque nuit. St Marcel l'exorcisa et le chassa, le dragon s'enfuit dans le marais où il disparut."
" 2° alchimique (de bas en haut)
" Le cadavre livré aux flammes de l'athanor exhale de son cerveau le principe de vie sous la forme du dragon babylonien porteur de la pierre des philosophes, le maître de l'oeuvre crosse d'or en mains fait le geste du silence.
3° hermétique ( de haut en bas et de bas en haut)
" L' Initié reçoit par l' emblème femelle qui coiffe sa tête la semence mâle ...... elle s'écoule par son pied dans le dragon, fils du soleil elle est transmise au cadavre en flammes et déjà soulevé par le souffle de vie."
" Le cadavre renaît de sa cendre et le souffle de vie revient au maître du monde par la même voie que précédemment."
"Je m'excuse d'un long silence, j'irai vous revoir bientôt.
" Amitiés, respects à votre frère et a votre soeur (signature : GBELLAIS)
" Dim 16/ 9 / 28".
Nous laissons pour le moment les interprétations de l'auteur sur les trois lectures possibles de la statue de Saint Marcel.
Ce courrier nous interpelle à plus d'un titre.
Tout d'abord, il est adressé à Philippe ENCAUSSE (1906-1984), fils de PAPUS, suit à un prêt de l'ouvrage premier de FULCANELLI à l'auteur de la lettre, Georges BELLAIS.
Le livre a été recommandé à l'attention des lecteurs par Paul LE COUR (1871-1954) dans la revue Aesculape en janvier 1927, comme l'a indiqué ARCHER dans son article du dimanche 7 octobre 2007.
C'est donc vers Paul LE COUR que Georges BELLAIS veut adresser ses remarques qui portent sur l'existence de la version vue par CAMBRIEL dans la première moitié du XIXè siècle et dont, heureusement pour nous, il donne les références précises.
Paul LE COUR a- t'il fait état de ces remarques, d'ordre historique, aux lecteurs d'ATLANTIS, la revue d'études bien connue, dont les débuts remontent à octobre 1927 ?
D'autres lecteurs auraient ils vu figurer ces remarques lord d'un numéro quelconque d'ATLANTIS ou lors d'une conférence restée en mémoire ? Avis de recherche parmi les lecteurs....
Ce que nous pouvons affirmer c'est qu'en septembre 1928, Philippe ENCAUSSE, pourtant au fait des courants ésotériques et d'initiation, ne connaît pas Eugène CANSELIET seul représentant la filiation légitime de FULCANELLI.
Eugène CANSELIET, possède tous les manuscrits originaux ayant servi à établir le texte définitif du Mystère des Cathédrales ; il dispose déjà aussi (voir le Feu du Soleil e.a.) des notes qui serviront à établir le texte des Demeures Philosophales (à publier en 1930).
Au lieu de tenter de contacter Eugène CANSELIET, totalement inconnu des filiations martinistes ou maçonniques, Philippe ENCAUSSE fait connaître à GRILLOT DE GIVRY, le cliché publié par Marcel AUBERT, lequel reproduit le cliché à l'albumine des frères BISSON.
GRILLOT DE GIVRY, qui, rappelons-le, fut collaborateur de PAPUS, comme traducteur de l'Amphithéâtre de l'éternelle sapience de Heinrich KHUNRATH, glisse le cliché en guise de démenti discret à l'ouvrage de FUCANELLI, quant à son jugement sur CAMBRIEL, dans son chapitre consacré aux alchimistes en page 407 de son ouvrage "Les Sorciers, Mages et Alchimistes" qui paraîtra en février 1929.
Nous ignorons si cette photo fut jointe au dernier moment lors de la mise en page de cet ouvrage, ou bien s'il fut sélectionné par GRILLOT DE GIVRY lui-même, suite à une communication provenant du milieu proche d'ENCAUSSE ou de LE COUR lui-même.
Pour mettre les idées au clair, Eugène CANSELIET fit la connaissance de Paul LE COUR en 1934, lorsqu'il commençat sa collaboration d'écrivain à la revue ATLANTIS, et ne rencontra Philippe ENCAUSSE qu'au cours de l'année 1957 !
L'article de Paul LE COUR en janvier 1927, fait bien comprendre au lecteur que les thèmes traités dans le Mystère des cathédrales recoupent l'érudition propre à Pierre DUJOLS, le célèbre libraire et descendant des Valois, dont le manuscrit sur la Chevalerie (Valois contre Bourbons) fut publié à la fin du XXè siècle.
Voici tout d'abord les scans des pages retranscrites ci-dessus.
Nous avons affirmé qu'Eugène CANSELIET ne connut Philippe ENCAUSSE qu'au cours de l'année 1957. En effet, dans un échange de courrier entre eux à l'époque de la seconde édition du Mystère des Cathédrales, CANSELIET écrit à ENCAUSSE :
" Savignies, ce dimanche
" Cher Monsieur,
" Peut-être avez-vous gardé mon souvenir, avec celui du petit dîner chez mes cousins Monsieur et Madame RABOUIN, où je fis votre connaissance, voici déjà bien longtemps."
" J'ai vu hier, à la Bibliothèque nationale, le n°2 (1957) de votre Initiation consacré en majeure partie à l'alchimie, et qui, pour cette raison, m'a beaucoup intéressé. Serge Hutin m'en ayant, il y a trois mois, annoncé un exemplaire que je n'ai pas reçu, ne pourriez-vous avoir la gentillesse de tenir sa promesse ?
" Ne vous serait-il pas possible également de donner, dans l'Initiation, une note sur le Mystère des Cathédrales de Fulcanelli ?
" Dites-le moi, que je vous fasse le service de presse qui est très serré, par l'éditeur, à cause du prix élevé de ce tirage de luxe déjà très près d'être épuisé.
" Veuillez agréer, cher Monsieur l'expression de mes sypathiques et confraternels sentiments. " Signé : E. CANSELIET Savignies (Oise) "
De ce courrier on retire la nette impression que ces deux auteurs et acteurs de l'ésotérisme ne se connaissent qu'à distance et dans une intelligence toute professionnelle, essentiellement !
Il ne nous semble pas téméraire de penser que dès la parution des Fulcanellis, il y eut une distance certaine entre les centres ésotériques dont les courants tiennent plus ou moins à la maçonnerie et au martinisme ( critiqués par certains passages péremptoires des Demeures Philosophales ) d'avec les alchimistes isolés que furent Eugène CANSELIET et Jean Julien CHAMPAGNE.... De ce dernier, on peut inférer l'importance auprès d'Eugène CANSELIET, dont la filiation à FULCANELLI ne le ratache à aucun autre protagoniste de la recherche hermétique....
Les deux autres alchimistes parisiens, Pierre DUJOLS (avec son fidèle FAUGERON) et Marc HAVEN (de son état-civil : Emmanuel LALANDE) sont décédés en 1926.
La mystérieuse Irène HILLEL-ERLANGER est "officiellement" décédée en 1920, accidentellement, mais dont André SAVORET dira des décennies plus tard et sans ambiguité qu'elle "se porte comme un charme" à un de ses amis !
Ici se trouve la vraie frontière : " en marge de la science et de l'histoire" comme le porte fièrement les ouvrages de FULCANELLI et d'une manière générale ceux des grands maîtres de l'Alchimie.
Que penser alors des inexactitudes que nous avons ici révélées à propos de la statue de Saint-Marcel, en partant de l'indignation suscitée au Maître de Savignies par les propos de Bernard HUSSON dans sa réédition du traité de CAMBRIEL, quelques mois avant que paraisse la troisième édition du Mystère des cathédrales, et dont nous venons de dénoncer les tenants et aboutissants ?
En guise de question "en marge de la science et de l'histoire" voici une hypothèse qui paraîtra scandaleuse mais nous paraît toutefois parfaitement plausible.
En 1925, Eugène CANSELIET et Julien CHAMPAGNE, forts de leur expérience et leurs talents, imaginent la" présence" d'un grand Maître adepte (donc en possession de la pierre philosophale) qu'ils baptisent du nom de FULCANELLI, utilisant des décennies de notes artistiques et scientifiques rassemblées par CHAMPAGNE puis par son disciple, et dont la partie se rapportant à la cabale phonétique d'origine pélasgique, provient des recherches de Pierre DUJOLS et de GRASSET D'ORCET !!!!!!!!!!!!
Toutefois, dans les éléments rassemblés à propos des sculptures du portail de Notre-Dame et de Saint-Marcel, le jugement sur l'interprétation de CAMBRIEL les induisent à le condamner, par ignorance de ce qui s'est déroulé entre 1850 et 1860 ! Une méconnaissance de l'ancienne statue postulerait sur une érudition limitée à la période postérieure aux transformations de VIOLLET LE DUC et LASSUS.
D'où la colère d'Eugène CANSELIET en 1964, qui craint le lièvre posé par un de ses anciens collaborateurs, Bernard HUSSON, en passe de devenir auteur rival sur des questions d'érudition !
L'année 1926, le premier manuscrit des deux FULCANELLI peut voir le jour, DUJOLS ayant disparu, LALANDE aussi, qui auraient pu interroger le préfacier sur la communauté de propos mis sous la plume d'un FULCANELLI dont plus personne ne peut aujourd'hui savoir s'il est réel, immortel, ou bien virtuel !!!!
Cette hypothèse se fonderait sur le pacte du silence entre CANSELIET et CHAMPAGNE et celà ad vitam.... Et expliquerait diverses réactions, carrément épidermiques, comme celle d'Henri COTON-ALVART ( voir Genevieve DUBOIS dans : Ces hommes qui ont fait l'alchimie au XXè siècle) ou Robert AMBELAIN qui soupçonna très tôt (dès 1935) une complicité CANSELIET - CHAMPAGNE, en accentuant le rôle de ce dernier dans la naissance des deux célèbres ouvrages....
Nous espérons que cette hypothèse sera battue en brêche par toute personne autorisée à nous prouver l'inanité de cette suggestion, laquelle postulerait une mauvaise conscience de la part de celui qui a incarné le renouveau et la faveur de l'alchimie francophone de la seconde moitié du XXè siècle, Eugène CANSELIET, si décrié depuis son décès.
Et cela d'autant plus que l'auteur de ces lignes partagea cet enthousiasme de longues années durant, étant convaincu de la VALEUR des enseignements prodigués au sein des deux ouvrages de FULCANELLI et des cinq oeuvres désormais classiques du Maître de Savignies.
En conclusion, les deux ouvrages de FULCANELLI ont suscité une attraction indéniable et exercé un intérêt particulier pour l'antique science et l'art d'Hermès, tout en recelant leur part d'ombre (faite à d'aucuns) et d'inexactitude....
Sic transit gloriae mundi ......
Avant d'achever cet article, nous avions promis de parler aussi de l'auteur de la lettre : Georges BELLAIS.
Ancien condisciple d'études de Charles PEGUY, il fonda avec lui, la librairie qui porta son nom ainsi qu'une maison d'édition, diffusant principalement des études ou des ouvrages sur le socialisme, à partir de 1898 et jusqu'à la guerre 14.
Il n'a pas été possible jusqu'à présent de savoir quel fut le parcours intellectuel qui le mena à s'intéresser à des sujets touchant l'ésotérisme ou la lecture des édifices médiévaux.
Tout ce que j'en sais, c'est que sa proximité avec Marcel AUBERT, qu'il connaissait d'assez près, justifierait son courrier en direction de Philippe ENCAUSSE.
Bonne lecture et à vos commentaires (peut-être !).