Nous vous proposons dans ces pages une série de réflexions sur les sources utilisées par différents auteurs à propos de certaines pages désormais célèbres du livre : LE MYSTERE DES CATHEDRALES par l'alchimiste FULCANELLI (première édition en 1926).
Nous évoquons lors de ce premier article, une statue présente au portail droit de la facade ouest de Notre-Dame de Paris, sujet principal et premier de l'étude de ce désormais "best seller" de l'édition en matière d'alchimie.
Il s'agit de la statue de Saint-Marcel, évêque de Paris (circa 335 - novembre 436) dont la légende dorée relate son intervention miraculeuse en faveur d'une Dame prisonnière d'un monstrueux dragon.
Cette statue est présente au milieu du portail Sainte-Anne (portail de droite) et a fait l'objet de remaniements conséquents.
Dans sa monographie sur Notre-Dame de Paris en 1928, Marcel AUBERT (9 avril 1884 - 28 décembre 1962), historien alors attaché au département des sculptures médiévales du Louvre, plus tard conservateur en chef, retrace l'histoire de l'architecture et de la sculpture de ce monument si renommé.
La monographie est publiée chez l'éditeur Albert Morancé dans un grand in 4° (520 x 360) et comporte deux parties : la présentation en 24 pages (table des planches comprise) et en 67 planches hors-texte, reproduisant des photographies en héliotypie (héliogravure) dont l'opérateur est E. Mas des monuments nationaux.
La planche qui nous intéresse est la numéro trente-deux.
Elle reproduit la porte gauche du portail Saint-Anne et contient sur sa partie droite la reproduction de Saint-Marcel depuis sa base jusqu'à son sommet.
Nous vous la reproduisons ici-même car c'est la pièce qui fut à l'origine d'une mise au point énergique du disciple de FULCANELLI, Eugène CANSELIET, dans sa troisième préface du Mystère des Cathédrales réédité en 1964, par Jean-Jacques Pauvert.
Dans cette préface, Eugène CANSELIET, (page 33 à 43) donne au lecteur un avis qui, pour le moins, est très catégorique.
"Après ce que nous venons d'esquisser, que ne doit-on pas craindre, lorsque déjà, autour de nous, sur le plan où nous sommes, peuvent jouer le témoignage contestable et l'argumentation spécieuse ? Propension déplorable que montrent, invariablement, l'envie et la médiocrité et dont nous nous faisons un devoir de détruire, aujourd'hui, les fâcheux et persistants effets. Cela, au sujet d'une très objective rectification de notre Maître Fulcanelli étudiant, au Musée de Cluny, la statue de Saint-Marcel, évêque de Paris, qui se dressait à Notre-Dame, sur le trumeau du porche de Sainte-Anne, avant que les architectes Viollet-le-Duc et Lassus, l'y eussent remplacée, vers 1850, par une satisfaisante copie. Ainsi, l'Adepte du Mystère des Cathédrales fut-il conduit à redresser les fautes commises par Louis-François Cambriel qui pouvait cependant détailler la sculpture primitive, toujours bien en place à la cathédrale, depuis le début du XIVè siècle, et qui en écrivit alors, sous le roi Charles X, sa brève et fantaisiste description :
" Cet évêque porte un doigt à sa bouche, pour dire à ceux qui le voient et qui viennent prendre connaissance de ce qu'il représente... Si vous reconnaissez et devinez ce que je représente par cet hiéroglyphe, taisez-vous ! ...N'en dites rien! -" (Cours de Philosophie hermétique ou d'Alchimie en 19 leçons. Paris, Lacour et Maistrasse, 1843).
Ces lignes, dans l'ouvrage de Cambriel, sont accompagnées du croquis malhabile qui leur donna naissance ou qu'elles inspirèrent. Comme Fulcanelli, nous imaginons mal que deux observateurs, à savoir l'écrivain et le dessinateur, aient pu séparément se trouver les victimes de la même illusion. Sur la planche gravée, le saint évêque, qui est pourvu de barbe, en évident métachronisme, a le chef couvert d'une mitre décorée de quatre petites croix et tient, de la main gauche, une courte crosse au creux de son épaule. Imperturbable enfin, il lève son index au niveau du menton, dans l'expression mimique du secret et du silence recommandés.
"Le contrôle est aisé, conclut Fulcanelli, puisque nous possédons l'oeuvre originale, et la supercherie éclate au premier coup d'oeil. Notre saint est, selon la coutume médiévale, absolument glabre ; sa mitre, très simple, n'offre aucune ornementation ; la crosse, qu'il soutient de la main gauche, s'applique, par son extrémité inférieure, sur la gueule du dragon.
Quant au geste fameux des personnages du Mutus Liber et d'Harpocrate, il est sorti tout entier de l'imagination excessive de Cambriel. Saint Marcel est représenté bénissant, dans une attitude pleine de noblesse, le front incliné, l'avant-bras replié, la main au niveau de l'épaule, l'index et le médius levés." (page 35)
"La question, on vient de le voir, était nettement résolue, qui, dans le présent ouvrage, fait l'objet de tout le paragraphe VII du châpitre PARIS, et dont le lecteur peut, dès maintenant, prendre connaissance in extenso.
Toute tromperie était donc déjouée et la vérité parfaitement établie, quand Emile-Jules Grillot de Givry, quelques trois années plus tard, dans son Musée des Sorciers, écrivit, à l'égard du pilier médian au porche sud de Notre-Dame, les lignes que voici :
" La statue de Saint-Marcel, qui se trouve actuellement sur le portail de Notre-Dame, est une reproduction moderne qui n'a pas de valeur archéologique ; elle fait partie de la restauration des architectes Lassus et Viollet-le-Duc. La véritable statue, du XIVè siècle, se trouve actuellement reléguée, dans un coin de la grande salle des Thermes du Musée de Cluny, où nous l'avons fait photographier (fig. 342). On verra que la crosse de l'évêque plonge dans la gueule du dragon, condition essentielle pour la lisibilité de l'hiéroglyphe, et indication qu'un rayon céleste est nécessaire pour allumer le feu de l'athanor. Or, à une époque qui doit être le milieu du XVIè siècle, cette antique statue avait été enlevée du portail et remplacée par une autre dans laquelle la crosse de l'évêque, pour contrarier les alchimistes et ruiner leur tradition, avait été faite délibérément plus courte, et ne touchait plus la gueule du dragon. On peut voir cette différence dans notre figure 344, où est représentée cette ancienne statue, telle qu'elle était avant 1860. Viollet-le-Duc l'a fait enlever et l'a remplacée par une copie assez exacte de celle du Musée de Cluny, restituant ainsi au portail de Notre-Dame sa véritable signification alchimique."
"Quel filandreux imbroglio, pour n'en pas dire davantage, selon lequel, en somme, une troisième statue se serait insérée, au XVIè siècle, entre le beau vestige déposé à Cluny et la copie moderne, visible à la cathédrale de la Cité, depuis plus de cent ans !
De cette statue Renaissance, absente des archives et inconnue des plus savants ouvrages, Grillot de Givry, à l'appui de son assertion pour le moins fort gratuite, fournit une photographie dont Bernard Husson, délibérément, fixe la date et fait un daguerréotype. Voici la légende qui renouvelle, au bas de ce cliché, son insoutenable justification : fig. 344. - STATUE DU XVIè SIECLE REMPLACEE, VERS 1860, PAR UNE COPIE DE L'EFFIGIE PRIMITIVE. Portail de N.-D. de Paris. (Collection de l'auteur.)
Malheureusement pour cette image, le saint Marcel présumé n'y possède pas la canne épiscopale que lui prête par la plume Grillot, décidément perdu jusqu'à l'impossible sollicitation. Tout au plus distingue-t-on, dans la main gauche du prélat goguenard et puissamment barbu, une sorte de grosse barre, dépourvue, à son extrémité supérieure, de la volute ornée qui en aurait pu constituer une crosse d'évêque.
Il importait, évidemment, qu'on induisît, du texte et de l'illustration, que cette sculpture du XVIè siècle - opportunément inventée - eût été celle que Cambriel, "passant un jour devant l'église Notre-Dame de Paris, examina avec beaucoup d'attention", puisque l'auteur déclare sur la couverture même de son Cours de philosophie, qu'il termine ce livre en janvier 1829. Ainsi se trouvaient accrédités la description et le dessin, dus à l'alchimiste de Saint-Paul de Fenouillet, lesquels se complètent dans l'erreur, tandis que cet irritant Fulcanelli, trop soucieux d'exactitude et de franchise, était convaincu d'ignorance et d'inconcevable méprise.
Or la conclusion, dans ce sens, n'est pas aussi simple ; on le constate, dès maintenant, sur la gravure de François Cambriel, où l'évêque est porteur d'un bâton pastoral assurément écourté, mais bien complet de son abaque et de sa partie spiralée."
Afin de permettre au lecteur de suivre plus aisément le fil de notre propos, reprenons les données multiples de cette mise au point du disciple de Fulcanelli.
Ce dernier publie lors de la troisième édition de l'ouvrage "Le Mystère des Cathédrales" l'image que voici (en trois parties) et qui présente l'état actuel, rectifié par Geoffrey Duchaume lors dela restauration datant de 1853 - 1860 de la cathédrale, de la statue de Saint Marcel.
On y voit bien le saint tel qu'il est décrit par Fulcanelli et Eugène Canseliet et tel que vous pouvez toujours le voir actuellement à Notre-Dame. C'est bien un évêque bénissant, orné d'une mitre,figure glabre, portant une crosse pastorale spiralée qui vient plonger dans la bouche du dragon, conformément à la légende.
Voici maintenant la planche 32 de la monographie de Marcel Aubert, ouvrage présenté au début de notre article,avant la longue mise au point citée ci-devant d'Eugène Canseliet.
Il s'agit cette fois, d'un prélat dont la mitre présente deux grandes croix surmontées de deux petites, peu visibles dans le cliché, qui est une reproduction d'un tirage bien plus ancien.
Saint-Marcel est ici barbu et porte cette fois une barre longue, dont le bas fait penser à une épée se terminant à la hauteur du surplis de la robe épiscopale, ne touchant pas le dragon si ce n'est par le pied.
C'est ce cliché qui est reproduit par GRILLOT DE GIVRY, page 407 de son dernier ouvrage si bien illustré, qu'est le Musée des Sorciers, Mages et Alchimistes paru en février 1929, sous la référence de la figure 344, en regard de celle référencée 342, de la statue actuelle, publiée par Canseliet dans sa réédition de 1964.
Le cliché de Marcel AUBERT, publié deux ans après la sortie de la première édition de Fulcanelli, reproduit en fait un cliché pris en 1854 au plus tard, par Louis- Auguste (1814-1876) et Auguste-Rosalie BISSON (1826-1900), photographes assez renommés par la qualité de leur travail, et dont le cadet fit partie des premières expéditions photographiques dans le massif du Mont Blanc en 1860 et 1861.
C'est en réalité dans un ouvrage collectif sous la direction de l'architecte LASSUS, la Monographie de Notre-Dame de Paris et de la Nouvelle Sacristie contenant 63 planches gravées, de 12 planches photographiques de MM. BISSON frères et 5 planches chromolithographiques de M. LEMERCIER précédée d'une notice historique et archéologique par M.CELTIBERE, P.MOREL éditeur sans date mais daté par les experts de 1854 au plus tard. On peut retrouver la reproduction de la photographie qui concerne Saint-Marcel dans le catalogue de la vente aux enchères de la bibliothèque de Monsieur LE TELLIER intervenue le mercredi 26 novembre 2008 à l'Hôtel DROUOT (salle 4) et figurant au catalogue TAJAN sous le numéro 110.
Pour l'information ce lot dépassa la somme de 8000 euros ! Voici la photo concernée :
(partie du cliché des frères BISSON joint à la monographie de Notre-Dame avant les travaux de restauration et publié sous le nom de LASSUS)
Dans sa monographie Marcel AUBERT, explique ce qui suit :
Est-il dès lors impossible de voir, comme CAMBRIEL, un évêque barbu remplacer un original en mauvais état (voir plus loin) relégué au Musée de Cluny, où nous le retrouvons parmi les Thermes, et d'admettre cette statue transitoire, remaniée, telle que nous la voyons dans la gravure de Marcel AUBERT, dans le tirage à l'albumine des frères BISSON avant la restauration définitive par les équipes de VIOLLET LE DUC et LASSUS ?
Voila les références au fameux cliché reproduit par GRILLOT DE GIVRY qui mit Eugène CANSELIET en colère !
Ce qui nous trouble, c'est la méconnaissance totale de ces deux ouvrages par quelqu'un qui connaissait si bien Notre-Dame de Paris et ses multiples aspects. Que ce soit Eugène CANSELIET ou bien son vénéré Maître FULCANELLI, comment se fait-il qu'aucun des deux n'ont admis l'existence de ces modifications successives, et leurs témoins photographiques, que ce soit en 1854, ou en 1928.
Ce qui nous trouble aussi c'est l'absence de référence précise dans l'ouvrage de GRILLOT DE GIVRY. Après avoir précisé qu'il s'agirait d'une statue datant du XVIè siècle, il ne cite comme source de son cliché que la collection privée de l'auteur !
Ignorait-il l'ouvrage de Marcel AUBERT qui venait de paraître, pendant les mois mêmes où il rédigeait son chapitre sur les alchimistes ? Cela nous paraît du moins étrange, qu'il obtienne le bon cliché sans en connaître sa provenance.
Si ce cliché est paru dans son ouvrage, c'est plus que probablement qu'il lui a été communiqué de façon discrète, confidentielle dans le but de poser en somme un lièvre sur la route de la réputation du Mystère des Cathédrales....
En effet, il y eut bien une volonté jalouse de ce livre assez extraordinaire, qui voulut en remontrer à ce FULCANELLI, dont on ne savait pas qui il était, de Julien CHAMPAGNE, d'Eugène CANSELIET ou de tutti quanti, mais dont un certain milieu littéraire se méfia dès la parution en 1927 et 28 surtout.
Si l'on admet qu'une personnalité tint à faire de l'ombre au magnifique ouvrage de FULCANELLI, par quel biais cette remise en question de la statue de Saint Marcel put elle se faire ?
Si cette question vous intéresse, nous donnerons une suite à ce premier texte, et publierons alors une lettre très éclairante.....
Signalons que l'excellent blog consacré à Julien CHAMPAGNE a déjà publié à la date du 27 avril 2006 un article résumant le point de vue d'Eugène CANSELIET et de FULCANELLI à propos de la statue de Saint-Marcel que vous trouverez à l'adresse internet suivante :
http://www.archerjulienchampagne.com/article-2564590-6.html
Bonne lecture à tous !